Dans mon précédent article, j’avais évoqué brièvement l’évolution de la règlementation bâloise, de Bâle I à Bâle IV. Succinctement, les enjeux de Bâle IV avaient été soulevés, ainsi que l’impact de la pandémie COVID-19 sur le délai de la mise en oeuvre de cette dernière norme.
Quand on évoque la règlementation bancaire, il est question du Comité de Bâle, qui est un organe supranational au sein de la Banque des Règlements Internationaux qui émet les recommandations et avis consultatifs. Ensuite, ces recommandations doivent être traduites dans une législation nationale ou régionale. Le contrôle de la conformité de ces normes est assuré par une autorité de régulation nationale, et dans certains cas, supranationales (l’Union Européenne). Nous nous trouvons face à une galaxie de régulateurs bancaires et des marchés financiers selon la géographie et les missions spécifiques imparties à chacun.
Le présent article porte sur la définition du rôle des acteurs prépondérants dans la règlementation bancaire dans l’Union Européenne, aux Etats-unis, en France, au Luxembourg et en Belgique. Le diagramme de la réglementation bancaire à la page précédente donne un aperçu des acteurs de la règlementation dans les géographies précitées ainsi que la hiérarchie de ces acteurs. Avec la crise des subprimes de 2007-2008, des manquements ont été observés dans l’encadrement de banques de plus en plus transnationales. La question du « renflouement » avec les deniers publics a été la pomme de discorde entre les différents états (au sein même de l’Union Européenne). Suite à cela, il y a eu une évolution des rôles et missions dévolus à certains régulateurs. Certains ont été réformés, d’autres ont disparu ou ont récupéré de nouvelles prérogatives. Chaque pays a son modèle de contrôle et est représenté par son régulateur bancaire au sein du comité de Bâle à la Banque des Règlements Internationaux. Le rôle de chacun sera succinctement évoqué et précisé. Une présentation macro, au niveau mondial, ensuite régional (l’Union Européenne) pour finir au niveau national (Belgique, France, Luxembourg et Etats-unis) sera proposée.

La Banque des Règlements Internationaux (BRI : Banque des Règlements Internationaux) est la première entité au niveau mondial qui chapeaute et coordonne la règlementation financière et bancaire internationale. Elle a son siège à Bâle et est souvent dénommée abusivement comme « la banque centrale des banques centrales ». En son sein, siègent divers comités, notamment le Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire (BCBS) et le « Financial Stability Board » qui nous concernent dans le présent article. On peut aussi citer à titre d’information le forum de gouvernance des banques centrales, le comité sur le système financier mondial, le comité Irving Fischer sur les statistiques des banques centrales, le comité sur les paiements et infrastructures de marché, etc…
La BRI a été fondée en 1930 à la suite du traité de Versailles dans le cadre du plan Young pour prendre en charge la redistribution des dédommagements et des réparations dus par l’Allemagne suite à la première guerre mondiale. L’institution a été créée par les principaux pays créanciers et vainqueurs de la 1ère guerre mondiale: Etats-unis, Royaume Uni, Belgique, Italie, France, Suisse, Canada et Japon. Aujourd’hui, la BRI comprend une soixantaine de membres. Le rôle de la banque a évolué au sortir de la 2ème guerre mondiale lorsqu’il a fallu reconstruire l’Europe via le plan Marshall. Suite au risque systémique apparu avec la faillite de la banque Herstatt en 1974, le comité de Bâle pour la supervision bancaire a été mis en place au sein de l’institution. Les gouverneurs des banques centrales et les autorités de régulation de 27 pays se réunissent au sein de ce comité. La réglementation a évolué de Bâle I (1988) à Bâle IV (2023). Aujourd’hui, le comité de Bâle est le chef d’orchestre de la règlementation bancaire dite « bâloise » qui a une portée mondiale. Cette règlementation doit ensuite être transposée dans l’arsenal législatif régional ou national. En Europe par exemple, les dispositifs bâlois sont transposés dans le corpus juridique européen soit via des directives européennes (CRD : Capital Requirement Directive), soit via des règlementations européennes (CRR : Capital Requirement Regulation).
Le Conseil de Stabilité Financière (Financial Stability Board) a été créé lors de la réunion du G20 à Londres en avril 2009. Il succède au Forum de Stabilité Financière institué en 1999 à l’initiative du G7. Le conseil regroupe 26 autorités financières nationales et plusieurs organisations internationales. Ses objectifs relèvent de la coopération dans le domaine de la supervision et de la surveillance des institutions financières. Son siège est à Bâle, au sein de la Banque des Règlements Internationaux. Le conseil détermine notamment les banques systémiques
Au niveau européen, la crise des subprimes de 2007-2008 a contribué à la refonte du paysage des régulateurs. Des banques européennes transnationales ont été fragilisées et certaines ont fait faillite (LandsBanki, Northern Rock, Dexia, Fortis, …). La crise de la dette souveraine de certains états européens (PIIGS : Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) qui a suivi celle des subprimes a mis au jour la faiblesse de l’arsenal règlementaire européen. L’ensemble de ces déboires a confirmé la nécessité d’une réponse coordonnée et institutionnalisée à l’échelle européenne.
En réponse à cette crise économique et financière de 2008, l’Union Européenne a mis en place d’une part le Système Européen de Supervision Financière (SESF) et d’autre part l’union bancaire européenne. Le SESF est « un réseau d'autorités micro-prudentielles et macro-prudentielles décentralisé et à composantes multiples, qui vise à assurer une surveillance financière homogène et cohérente dans l'UE »[1]. Proposé en 2009 par la Commission européenne, le SESF a remplacé les 3 comités de superviseurs par 3 nouvelles autorités européennes de surveillance. L’Autorité Bancaire Européenne (EBA) remplace le Comité européen des superviseurs bancaires ; l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles remplace le comité européen des contrôleurs d’assurance et de pensions professionnelles et enfin l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) remplace le comité européen des régulateurs de marché de valeurs mobilières. Cette tripartite est complétée par le Conseil européen du risque systémique (CERS) qui est sous la responsabilité de la Banque Centrale Européenne.
Avant la crise, les banques européennes étaient soumises au régulateur national selon le principe de supervision et de contrôle par le pays d’origine. « L’union bancaire a été créée en réaction à la crise financière et comporte actuellement deux éléments: le mécanisme de surveillance unique (MSU) et le mécanisme de résolution unique (MRU). Le MSU surveille les banques les plus grandes et les plus importantes de la zone euro directement au niveau européen, tandis que l’objectif du MRU est de résoudre les défaillances des banques en difficulté de façon ordonnée et à un coût minimal pour les contribuables et pour l’économie réelle. Un troisième élément, le système européen d’assurance des dépôts (SEAD) fait actuellement l’objet de discussions. »[i] La Banque centrale européenne (BCE) qui a été créée en 1998 et dont le siège est à Francfort, avait initialement comme principale mission la politique monétaire de la zone euro (Eurosystème) et le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Son rôle a évolué à la faveur des différentes crises survenues et la mission de supervision des banques de la zone euro via le MSU à partir du 04 novembre 2014 lui a été dévolue. Ainsi, la BCE est désormais en charge de la supervision directe des banques systémiques (qui ont un total actifs supérieur à 30 milliard € et supérieur à 20% du Produit Intérieur Brut du pays) qui sont au nombre de 114. Aujourd’hui, ces banques importantes supervisées directement par la BCE détiennent près de 82% des actifs bancaires de la zone euro. La BCE supervise de manière indirecte les banques moins systémiques via les autorités nationales de supervision.
L’Autorité Bancaire Européenne (ABE) a été créée le 01er janvier 2011 et a déménagé son siège à Paris le 03 juin 2019 depuis Londres suite au Brexit. Elle a pour mission la stabilité et l’efficacité du système bancaire dans l’UE, la transparence des produits financiers, l’intérêt des épargnants, les tests de résistance, les normes et recommandations pour les 27 états membres. Elle est ainsi garante d’un « Recueil règlementaire unique » au sein de l’union.
L’Autorité Européenne des Marchés Financiers et des Valeurs Mobilières (ESMA) a été fondée le 01er janvier 2011 et a son siège à Paris. Elle est en charge de la régulation des marchés financiers et des normes et standards de régulation et de surveillance financière. Huit comités permanents siègent en son sein comme par exemple le comité permanent aux marchés secondaires, le comité permanent au post marché, le comité permanent à la protection des consommateurs et intermédiaires, le comité permanent à l’innovation financière, …
Le Mécanisme Européen de Stabilité a été créé le 27 septembre 2012 et a son siège au Luxembourg. C’est un genre de « FMI » européen qui prête aux Etats en difficulté et rachète des obligations. Il est dédié à la zone euro.
En Belgique aussi la crise des subprimes a amené à des évolutions dans le rôle des régulateurs. La défunte CBFA (Commission Bancaire, Financière et des Assurances) a laissé place le 01er avril 2011 à la FSMA (Autorité des Services et Marchés Financiers). Les missions de la CBFA ont été partagées entre la FSMA et la Banque Nationale de Belgique. La FSMA a hérité de la mission de contrôle des marchés financiers et des règles de conduite. La BNB, créée le 05 mai 1850, a quant à elle récupéré le contrôle prudentiel et systémique des banques belges ainsi que l’agrément bancaire.
Au Luxembourg, les institutions financières sont contrôlées par la CSSF (la Commission de Surveillance du Secteur Financier), créée le 01er juin 1998 et active depuis le 01er janvier 1999. Les institutions financières incluent les institutions de crédit, les experts du secteur financier, les compagnies d’investissement, les fonds de pension et les fonds de marché régulés des titres. La CSSF a repris les fonctions du Commissariat aux Bourses et de l’Institut monétaire Luxembourgeois. Ce dernier est devenu la Banque Centrale du Luxembourg (BCL) le 01er juin 1998. La CSSF a la responsabilité de l’autorisation et de la règlementation prudentielle des institutions financières. Elle supervise, règlemente, autorise, informe et, le cas échéant, effectue des contrôles. Elle est chargée de promouvoir la transparence, la simplicité et l’équité sur les marchés des produits et services financiers. Elle veille également à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs. La BCL, pour sa part, est en charge de la politique monétaire, du système de paiement, de l’analyse économique et de l’émission des billets.
En France, la régulation bancaire est sous la responsabilité de la Banque de France, institution fondée le 18 janvier 1800. En son sein, l’Autorité du Contrôle Prudentiel (ACPR) a été créée en 2010 et gère les agréments des banques et assurances. Elle assure la stabilité financière, supervise le secteur bancaire dans le cadre du Mécanisme de Supervision Unique (MSU) et protège la clientèle. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF), créée en 2003, est en charge de la régulation des marchés des services et produits financiers. Elle régule les acteurs et les produits de la place financière française. Elle édicte des règles, mène des enquêtes et des contrôles. Elle dispose d’un pouvoir de sanction. Le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), créé en 2013, est présidé par le ministre des finances et est composé de huit membres (le gouverneur de la banque de France, le vice-président de l’ACPR, le président de l’AMF, le président de l’Autorité des normes comptables et trois membres qualifiés). Le conseil siège trimestriellement.
Aux Etats-unis, c’est la Réserve Fédérale qui est en charge de la régulation bancaire. L’institution a été fondée en 1913, suite à la crise financière qui frappa les Etats-unis en 1907. Cette crise était due à des lacunes dans la règlementation des banques et des trusts. La Réserve Fédérale est la banque centrale des Etats-unis, responsable du système national de paiement et de politique monétaire. Les Etats-unis ont souvent du retard par rapport au reste du monde quant à l’adoption et la transposition des standards internationaux émis par le Comité de Bâle à cause de la multitude des banques (près de 10.000 institutions financières enregistrées), de la diversité et de la complexité du système bancaire américain. Par exemple, Bâle II n’a été appliqué qu’à une quinzaine de banques mais représentant près de 80% des actifs bancaires aux USA. La Securities Exchange Commission (SEC) qui a été fondée en 1934 suite à la crise de 1929 est le gendarme de la bourse, en charge de la finance de marché.
Depuis le début du XXème siècle, les crises financières ont amené leur lot de renforcement de la règlementation bancaire et financière. Avec la crise des subrpimes de 2007, celle-ci s’est davantage renforcée et les effets s’en ressentent encore aujourd’hui (CRR2, CRDV). Les excès de la finance, la crise de la dette européenne et la récession qui s’en est suivie a poussé les états à reprendre la main de la régulation bancaire au travers d’un corpus règlementaire consolidé. Depuis, de nouvelles autorités de régulation, agences de règlementation et mécanismes de résolution ont été mises en place et le rôle de certaines ont évolué afin de mieux saisir les risques inhérents à l’activité bancaire. Autant pour le professionnel que pour l’observateur, il est opportun d’appréhender l’environnement règlementaire qui encadre le système bancaire national et international.
Lino MUDIMU
Senior Risk Consultant
Références bibliographiques :
- 1. HULL J., Gestion des risques et institutions financières, 3ème édition, France, Pearson, 2013
- 2. CHAVAGNEUX C., Une brève histoire des crises financières. Des tulipes aux subprimes. France, Editions la Découverte, 2013
- 3. https://www.bankingsupervision.europa.eu/about/thessm/html/index.fr.html/
- 4. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/banking-union/single-resolution-mechanism/
- 5. https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/88//union-bancaire
- 6. https://www.bis.org
- 8. https://www.fsma.be/fr/la-fsma
- 9. https://www.nbb.be/fr/supervision-financiere
- 10. https://acpr.banque-france.fr/lacpr/
- 11. https://www.economie.gouv.fr/hcsf/hcsf-missions-pouvoirs-mandat
- 12. https://www.linkfinance.fr/CSSF-Luxembourg
- 13. https://www.federalreserve.gov/aboutthefed/structure-federal-reserve-system.htm
- 14. https://www.sec.gov/Article/whatwedo.html
- 15. https://www.persee.fr/doc/ecofi_0987-3368_2007_num_87_1_4232