Le nouveau paquet règlementaire bâlois attendu prochainement est dénommé officiellement par le Comité de Bâle sur la Supervision Bancaire (BCBS : Basel Committee on Banking Supervision) comme un complément, un renforcement et une continuité des mesures de Bâle III entrées en vigueur en 2019. Dans la profession, cette nouvelle salve règlementaire est connue officieusement sous le vocable Bâle IV suite à l’importance des réformes attendues. Ces réformes touchent effectivement toutes les natures de risque (de crédit, de marché et opérationnel), logées dans le dénominateur du ratio de solvabilité. Dans cet article, je me conformerai à la pratique officieuse en dénommant également ces réformes à venir sous le vocable de Bâle IV.
L'organe de contrôle du Comité de Bâle, le Groupe des gouverneurs et chefs de la supervision des banques centrales (GHOS), avait initialement prévu l’entrée en vigueur de ces nouvelles normes pour le 01/01/2022 avec une période de transition de 5 ans (pour certaines dispositions de la réforme). L’Union Européenne prévoyait une transposition dans l’arsenal législatif européen pour 2021. Entretemps, le monde fait face au défi sanitaire le plus terrible depuis la grippe espagnole il y a 100 ans (1918-1920) qui fit entre 20 à 50 millions de morts dans le monde selon les estimations de l’Institut Pasteur. Et le monde économique et financier n’a plus connu une crise comparable depuis les subprimes (2007-2008). Les banques sont sollicitées par les autorités pour accompagner les ménages et entreprises frappés par un chômage de masse et des pertes de revenus en allégeant les charges de crédits, en ne versant pas de dividendes aux actionnaires, etc…. Les régulateurs et autorités prudentielles vont -ils suspendre ou retarder la mise en place des dispositions de Bâle IV ? Quel impact aura la pandémie sur le calendrier de la nouvelle réglementation ?
Avant de répondre à la question posée, la chronologie de la saga Bâloise et des enjeux de cette dernière disposition règlementaire à venir sera succinctement évoquée. J’aurai l’occasion de revenir plus en détail dans un prochain article sur les enjeux de cette nouvelle règlementation bancaire.
Le Comité de Bâle est l’organe composé des gouverneurs de banques centrales et des autorités de régulation de 27 pays membres qui tient séance quatre fois par an sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) à Bâle et émet des avis consultatifs. Ce comité a été fondé en 1974 avec l’objectif de réguler la finance mondiale suite aux déboires de la banque Herstatt en juin de cette année. Cette faillite avait exposé les banques américaines à un risque de contrepartie et à des pertes. La défaillance de la banque allemande avait failli provoquer une crise du système bancaire internationale.
En 1988, le premier accord dit de Bâle I avait été conclu avec une entrée en vigueur en 1992. Le ratio Cooke (du nom du président du comité d’alors) qui fixe le minimum de fonds propres (au numérateur) par rapport à l’ensemble des actifs comportant un risque de crédit (au dénominateur) est mis en place avec un seuil de 8 %. Cependant, ces dispositions ont vite connu leurs limites suite à l’explosion des opérations des dérivés dans le hors-bilan qui n’étaient pas suffisamment prises en compte dans le ratio Cooke.
Suite à l’augmentation du risque de marché induit par le volume des activités de dérivés, le Comité de Bâle produit un complément règlementaire en 1996 qui fixe une charge en fonds propres pour tenir compte du risque de marché dans les actifs pondérés (dénominateur). Le comité propose alors une approche standard ou une approche fondée sur les modèles internes qui implique le calcul d’une mesure de Value at Risk (VaR) au titre de risque de marché.
Une série de déboires bancaires durant les années 1990 suite aux activités de marché et aux fautes opérationnelles (Allied Irish Bank, Daiwa, Salomon Brothers, Barings, LTCM, …) conduisent le comité de Bâle à renforcer la règlementation via les accords de Bâle II, publiés en 2004 pour une entrée en vigueur en 2008. Cette nouvelle règlementation renforce le ratio de solvabilité en y incorporant le risque opérationnel. Ces accords mettent également en place trois piliers : l’exigence d’un capital minimum, la supervision par une autorité de régulation prudentielle et enfin la discipline de marché. Ces nouvelles dispositions ont été concomitantes à la crise des subprimes de 2007, la plus grave crise financière depuis la dépression des années 1930. La crise de 2007 a mis en exergue la croissance excessive du bilan et hors-bilan des banques, la faible qualité des fonds propres et la faiblesse des réserves de liquidité face à la crise de liquidité.
Très vite, les gouvernements des majeures économies mondiales ont pris la mesure du risque systémique qui pesait sur la finance mondiale. Le G20 (les 20 premières économies mondiales) s’accordent sur les dernières dispositions dites de Bâle III en 2010 pour une entrée en vigueur en 2019. Les trois piliers bâlois ont été renforcés et des ratios supplémentaires ont été intégrés tels que Liquidity Coverage Ratio (LCR), Net Stable Funding Ratio (NSFR), un coussin de fonds propres de conservation, un coussin de fonds-propres contre-cycliques et un coussin supplémentaire de fonds-propres pour les banques reconnues comme systémiques. Le seuil minimum exigé du ratio de solvabilité est passé de 8% à 11%.
Le Comité de Bâle a poursuivi le chantier sur ces dispositions Bâle III en vue de les consolider. Celles-ci sont connues officieusement sous le vocable de Bâle IV. En effet, les modèles internes du calcul des risques induisent une disparité dans les usages d’une banque à l’autre et le comité s’est trouvé face à un manque de comparabilité. Le comité souhaite ainsi harmoniser les modalités des calculs des actifs pondérés au risque (RWA : Risk Weighted Assets). Une approche standardisée est donc privilégiée. Une telle approche augmente davantage l’exigence en capital des banques de manière significative.
Ces dispositions dites de Bâle IV portent sur cinq axes : le risque de crédit, de contrepartie, de marché, opérationnel et enfin des mesures de résolution. Le détail de ces réformes ne sera pas développé ici mais dans un prochain article. Il s’agit ici de juste présenter dans les grandes lignes ces travaux. Le premier axe consiste d’abord en la revue du risque de crédit sous un angle standardisé du calcul du risque de crédit. Il est prévu une revue à la baisse des pondérations. Ensuite, l’approche interne sous Bâle III est revue avec en ligne de mire une restriction de l’application des modèles internes. Puis, un seuil plancher est fixé au-dessus duquel les actifs pondérés au risque (RWA) ne peuvent pas descendre lorsqu’ils sont calculés via les modèles internes (Output Floor). Enfin, le traitement prudentiel de la titrisation est revu.
Le deuxième axe de cette nouvelle disposition consiste en la revue du risque de contrepartie avec premièrement une révision de l’approche standard du calcul de l’exposition au défaut (EAD). Il s’agit notamment de l’approche standard pour les opérations sur dérivés. La revue prudentielle du coût du risque (CVA : Credit Valuation Adjustment) est le deuxième point du traitement du risque de contrepartie qui s’inscrit dans la lignée de la norme IFRS9 pour la provision des clients « sains » dès la phase d’octroi de crédit.
L’axe suivant consiste en une refonte fondamentale du portefeuille de négociation (Trading Book), notamment dans la gestion des risques de taux. L’Expected Shortfall est la nouvelle mesure du risque de marché en lieu et place de la Value at Risk (VaR). C’est une espérance mathématique de perte extrême, moins exposée aux cycles économiques que la VaR. En ce contexte des taux bas, le Comité s’est inquiété de la sous-estimation d’une prochaine remontée des taux.
Le risque opérationnel est le prochain axe sur lequel le comité propose une nouvelle approche, « SMA » (Standardised Measurement Approach), qui oblige les banques à pondérer en méthode standard. L’approche standard insiste sur les pertes passées au titre du risque opérationnel, qui ne sera plus dépendant du Produit Net Bancaire (PNB) mais qui doit mieux refléter les métiers de la banque incluant un historique des pertes opérationnelles.
Enfin, le dernier axe de revue est un ensemble de mesure de résolution qui consiste en la révision du calcul de l’exigence des fonds propres via l’introduction de nouveaux seuils : un ratio consolidé « d’exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles » (MREL : Minimum Own Funds and Eligible Liabilities) et d’une exigence d’un levier supplémentaire pour les banques systémiques (TLAC : Total Loss Absorbing Capacity). Un Fonds de Résolution Unique sera mis en place et sera alimenté par des contributions du secteur bancaire.
Face à la survenance de la pandémie de COVID-19 en début de cette année, le calendrier initialement prévu pour le déploiement de la nouvelle réglementation a été repoussé d’un an, soit pour une entrée en vigueur pour le 01/01/2023.
L’évolution de la règlementation bancaire a jalonné les crises financières dans l’histoire. L’économie fait face, une fois de plus, à une crise inédite. Les banques ont pour principale mission le soutien de l’activité économique via l’octroi des crédits et la mise à disposition des liquidités avec une gestion mesurée des risques. Dans chaque difficulté, se trouve une opportunité. « Les évènements actuels démontrent encore une fois l’importance d’un système financier résilient, que ces reformes vont permettre de renforcer ».
Références bibliographiques :
- HULL J., Gestion des risques et institutions financières, 3ème édition, France, Pearson, 2013
- FORMAGNE M., Introduction à la comptabilité bancaire, 2ème édition, France, RB édition, 2015
- BANK OF INTERNATIONAL SETTLEMENT, Governors and Heads of Supervision announce deferral of Basel III implementation to increase operational capacity of banks and supervisors to respond to Covid-19, https://www.bis.org/press/p200327.htm (13/08/2020)
- LEBOUCHER S., Vers Bâle IV ? Les banques dans l’incertitude, Revue Banque, 2016, n°795.
- BILGER M., Finalisation de Bâle III-Bâle IV : les termes de l’accord à la loupe, Revue Banque, 2017, n° 815.
- De Bâle 1 à « Bâle 4 » : chronique d’une saga règlementaire, Sia Patners, 2017
- GUYONY S., De Bâle 3 vers Bâle 4 : quels impacts sur le modèle bancaire ?, L’AGEFI Hebdo, 14/09/2017